Le Club Diogène (Part 1) by Poulpy

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Le chérisseur de têtes

et autres pacotilles pour

Le club Diogène

(1871-1877)

Initiation au club par les auteurs

Jérôme Sorre et Stéphane Mouret

Présentée par votre ami Poulpy

Le tome un, sur sept

chez les éditions Malpertuis

Partie I :

Le chérisseur de tête, premier volume des documents du club Diogène regroupe leurs aventures pendant la période prérévolutionnaire en France, car oui, il s’agit du groupe parisien et il n’a pas grand-chose à voir avec son confrère londonien ! Cette fois, nous nous éloignons de la Clef d’Argent pour la collection jaune de Malpertuis, collection à avoir en intégralité… Enfin, nous restons néanmoins soudés à nos amis lovecraftiens, car les premières nouvelles de ce recueil (encore !) ont été publiées dans quelques numéros spéciaux, trouvables ici. Comme le prologue nous le cite, elles sont totalement remaniées pour créer cette septalogie, car j’aime inventer des mots.

Bon, ce n’est pas donné, 18 € le livre, mais il vaut le coup et est bien rempli avec comme je vous l’ai dit, un prologue et même des infos sur les auteurs, comme les bonnes maisons d’édition le font si bien. Si vous avez accroché sur les précédentes critiques du poulpe, celle-là va elle aussi partir en live. Vous plaira-t-elle ? Si elle vous donne envie de craquer, c’est le principal. Nous allons bien suivre ces talentueux auteurs qui encreront sûrement leur nom pendant quelques décennies, voir plus, j’espère ! Nous commençons d’ailleurs avec une charmante dédicace aux courageux lecteurs égarés, nous promettant une lecture des plus infernale :

Vous, illustres buveurs non rouillés par l’eau et précieux petits vérolés de l’esprit,

qui entrez ici au milieu de votre vie et à la fin de la journée,

Ils s’appellent club Diogène,

Ils sont mal famés de littérature, ont des fantômes fichus et des mots gros.

Alors vous qui pendant longtemps vous coucherez tard,

Abandonnez toute morale,

Car ça commence comme ça.

Nous découvrons ce charmant petit groupe qui tue l’intuable d’un revers de page. En ouvrant cette chose, qui nous prédisait tomber dans un livre dont vous êtes (presque) le héros ?! Avec une introduction bien barrée, on se sent attiré… Comme une mouche. J’adore ces quatre pages de wtf ! Il fallait l’oser, une présentation comme celle-là, ça part déjà en live, jusqu’à la fin, enfin jusqu’au vrai début, et l’amusement vous poursuivra tout du long. Ne vous méprenez pas, il n’y a pas un gramme d’horreur là dedans !

 

Résumé :

Trois coups retentirent à la porte, dont la vigueur péremptoire ne laissait aucun doute sur l’identité du nouvel arrivant. « Le Maréchal ! » s’exclama Lison.

Fédor balança son livre par terre, oublieux de l’enthousiasme qu’il lui procurait, et trotta jusqu’à la porte.

L’homme, aussi rectangulaire qu’une commode, occupait tout l’encadrement. Bien qu’il fût le plus âgé de l’assemblée, avec la soixantaine qui blanchissait sa barbe coupée au carré, il compensait ce handicap par une présence impressionnante et tonique qui lui avait d’ailleurs valu son surnom militaire au sein du Club. Avant même de faire un pas, avant que l’impatient Vayec lui eût posé la traditionnelle question, il eut en guise de salutation cette syllabe tonitruante :

« J’ai ! »

Cette nuit encore, le club Diogène pourra donc lutter contre son pire ennemi : l’Ennui. Paris, en cette fin de XIXe siècle, est d’un assommant… La grosse ville s’embourgeoise et pue les vapeurs de l’industrialisation. Cela mérite bien qu’à la lune levée on s’échappe de chez soi, et qu’au cinquième étage d’un hôtel magnifiquement délabré on tienne d’occultes conciliabules, à l’affût d’une affaire de fantômes séduisants, de vampires perdus ou encore de cadavres en puzzle.

Dire que Vayec, Franklin, Lison, Camille, le Maréchal d’Orville et Fédor ne se connaissent même pas ! Dire que ce ne sont que des noms de guerre, sous l’anonyme impunité desquels ils œuvrent dans l’étrange et le sang. « Monsieur », leur énigmatique patron, les a mis en garde : interdiction pour eux de se fréquenter en dehors du Club !

Il apparaît donc, dès ce premier volume, que le club Diogène lui-même ne constitue pas le moindre mystère des onze aventures ici réunies.en

Réfléchies, dosées et inattendues, ces nouvelles nous permettent de faire connaissance avec les membres du club, dont on attend les passages à niveau à chaque créature. Comme dans tout bon jeu de rôle, initions-nous à l’univers avant toute fiche de personnages…

Stéphane Mouret,

Que dire ?

Les membres du club Diogène sont délicieusement infréquentables. Il vaut mieux lire leurs aventures que les avoir pour voisins. Encore que : pendant la journée, ces sept hommes et femmes peuvent être soupçonnés de mener une vie somme toute assez banale, à part le fait qu’ils vivent à plus de cent ans de nous, à la fin du XIXe. Comme beaucoup, ils rêvent d’autre chose. Comme peu, ils sont passés à l’acte. À eux les mystères, les aventures fantastiques (un peu, beaucoup, à la folie… et quelques-unes pas du tout), du jupon aussi, le tout dans un climat de frousse plutôt vivifiant. La nuit venue, ils se retrouvent au cinquième étage d’un hôtel Impérial bien délabré, dans la suite 52, et trompent furieusement leur ennui en buvant, en bavassant savamment, et en attendant que Monsieur, le patron du Club, leur soumette une petite enquête du genre qui apporte de gros problèmes.

Ils sont dotés d’un solide sens de l’humour qui ne ferait certainement pas l’unanimité; aussi potaches que cyniques (Diogène oblige), ils allient finesse et grossièreté, pleutrerie et courage, et il leur faut bien de toutes ces cuirasses pour s’en tirer à peu près sans coup férir des aventures périlleuses dans lesquelles Jérôme et moi les plongeons. À peu près, car il y a déjà eu des morts au club Diogène. Si eux-mêmes — et tant pis pour l’anachronisme — ont pu se figurer un moment protégé par une invulnérabilité de la même espèce que celles des personnages de cartoons, qui se relèvent toujours après être tombés du haut d’une falaise ou avoir reçu un boulet de canon en pleine figure, ils ont découvert à leurs dépens, et presque tragiquement, qu’il n’en est rien.

Ainsi, on est toujours 7 au club Diogène, mais pas toujours les mêmes. Fernando Goncalvès-Félix avait dessiné en noir et blanc ces personnages hauts en couleur pour la Clef d’Argent, où les premières histoires ont paru (de 2002 à 2008). Désormais, c’est Patrick Mallet qui se charge des couvertures couleur pour les éditions Malpertuis, où les trois premiers tomes sont déjà parus (soit 40 nouvelles).

 

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Dès la création du Club, Jérôme et moi avions prévu d’intégrer le facteur temps à notre série. C’était en 1994 (je refais le calcul, un peu effaré, mais oui c’est ça : il y a bientôt vingt ans…), c’est-à-dire avant que ne fleurissent les séries télévisées nouvelle génération, à regarder davantage comme un film d’une dizaine d’heures que comme une accumulation d’épisodes sans lien entre eux. En 1994, on ne parlait pas encore de « saisons », mais nous savions que notre série en comporterait sept. Nous voulions en effet faire vieillir voire mourir nos personnages, en remplacer quelques-uns, et pour cela on part de 1871 et on arrivera en 1914. Au fur et à mesure des tomes, le lecteur découvrira que le club Diogène existait avant 1870, et que tous ses membres ont quelque chose en commun qu’ils ignorent, mais là, chut : c’est (pour peu de temps encore) un secret de Monsieur…

Je peux en révéler un petit et amusant, en revanche. Jérôme et moi avons créé en une nuit la première génération de nos clubbers, dans son appart étudiant : physique, caractère, nom, bribe d’histoire personnelle… Un des membres les plus mis en avant est Vayec. Curieux nom, n’est-ce pas ? Il se trouve qu’à l’époque nous écoutions l’un et l’autre Steve Vai (un guitar hero, dont nous avons l’un et l’autre décroché désormais : trop technique, trop lyrique…), et par ailleurs Jérôme a des origines bretonnes. On a donc rajouté cette petite note finale typiquement bretonne à notre guitariste, et cela a donné naissance à Vayec, un dandy neurasthénique fin-de-siècle…

Nos inspirations se rangent dans deux grandes catégories : la littérature fantastique d’une part, et la littérature décadente d’autre part. Jérôme et moi, dès l’âge de onze ans, avons été élevés à grandes lampées de Stephen King, Clive Barker, Edgar Poe et Lovecraft, avant de découvrir qu’existaient des gens capables d’écrire des choses formidablement horribles dans un français formidablement magnifique, et qui eux s’appelaient Huysmans ou Villiers de l’Isle-Adam. Même si l’un et l’autre connaissions quelques histoires de Sherlock Holmes, nous n’étions pas cependant des familiers de l’univers de Conan Doyle, et c’est donc de façon tout à fait fortuite que notre club porte le même nom que celui du frère de Sherlock, Mycroft Holmes. Nous ne l’avons découvert, assez estomaqués, que des années plus tard. Incurie littéraire honteuse ! se récrieront peut-être certains. Certes… Pour ma part, je trouve surtout fascinant que parmi tous les noms de club possibles, « Diogène » ait été choisi à deux reprises ! Petit ouf : même dans les éditions françaises de Conan Doyle, généralement on ne traduit pas et on dit The Diogene’s club. Qu’on se le dise donc : les deux n’ont rien à voir… (Le nôtre est beaucoup plus remuant !) Nous n’excluons pas, au demeurant, une rencontre un de ces jours entre le limier de Baker Street et nos hurluberlus de la rue du Tonneau.

Pour finir, je noterai une évolution. Voilà vingt ans que Jérôme et moi vivons avec nos zigues. Il se trouve qu’ils ont vieilli à peu près au même rythme que nous, notamment les deux personnages dont nous nous sommes amusés à faire nos avatars, Vayec et Franklin. Le ton Diogène, s’il y en a un, reste foncièrement un mélange de fantastique et de burlesque, néanmoins force est de constater que cette tonalité s’est assombrie, que l’horreur tend à devenir plus sérieuse, l’angoisse plus prégnante, et si les bouffonneries survivent, c’est presque désespérément, comme un pied de nez à l’étau tragique qui se resserre autour de nos personnages.

Jérôme et moi sommes en train de rédiger le 4e tome. Celui-ci prendra une forme très différente des précédents puisque chaque membre, dans une ambiance « Fort Alamo », racontera aux autres son passé et notamment comment il en est venu à intégrer le club Diogène. Le lecteur restera coincé avec eux dans la suite 52, le temps d’une nuit unique, cependant au gré de leurs révélations il voyagera plus loin qu’il ne l’a encore jamais fait, et dans le temps et dans l’espace – si loin de ce seul Paris de la fin du XIXe siècle auquel paraissait devoir se cantonner le club Diogène.

 

Les personnages présentés par Jérôme Sorre !

 

Vayec :

D’une pâleur celtique. Le gamin du Club, avec Franklin — les deux jouent souvent à qui est l’alter, qui est l’ego. Volontiers scandaleux, il a la noblesse que confère le désespoir. Son cynisme a ceci de particulier qu’il est la plupart du temps tourné contre lui-même. De maintien aristocratique, élégant comme un enfant malade, il sombre souvent dans de solitaires excès de décadence.

Le Maréchal :

Le doyen du Club. Son imposante stature et l’autoritarisme dont il fait preuve parfois lui valent peut-être ce surnom. Car bien qu’il revendique à qui veut l’entendre que Napoléon lui-même le tenait en plus haute estime, sa carrière militaire fut très certainement aussi peu remplie que celle des demoiselles dont il aimerait desserrer les corsets.

Fédor :

Celui-ci revendique fièrement son identité slave, bien qu’il aborde rarement le sujet de son passé. On pourrait voir en lui un domestique zélé si on ignorait qu’il était l’égal absolu de ses comparses. Car allez savoir pourquoi, Fédor aime être servile, ouvrir les portes et servir l’absinthe… tout en se prétendant aux heures sombres le plus féroce des nihilistes.

Camille :

Camille, ou Cam, au premier regard, pourrait apparaître comme la personnalité la plus fade du Club. Or sa banalité apparente fait sa classe, et fait ressortir sa supériorité tranquille. Ses vêtures toujours sobres lui donnent un air gris, mais cette austérité, au bout du compte, lui donne une drôle d’élégance, un charme troublant. Elle n’est de toute façon pas à l’abri des péchés… Le sien est la boisson, et elle l’assume drôlement, ce péché.

D’Orville :

L’œil gras, les mains pleines de poils, une coiffure en cul de singe, qui pourrait affectionner un tel personnage ? Les membres du Club, malgré tout, apprécient en lui cette singulière complémentarité scélérate dont il fait preuve pour leur groupe. Il est vrai qu’à part éreinter les lits de la suite 52 avec Lison, on se demande franchement à quoi sert d’Orville.

Franklin :

Le frère d’âme de Vayec. La même jeunesse vorace, la bouffonnerie en plus. Toujours mal fagoté, l’écharpe souvent trop longue, lui qui réussit parfois à faire honte à ses compères tant sa mise est lamentable n’en demeure pas moins l’une des têtes pensantes les plus perspicaces du Club. Cet érudit sombre parfois dans un romantisme effréné, lorsque Lison pose son regard capiteux sur sa personne. Car Franklin aime Lison, ce qui demeure incompréhensible…

Lison ; Ah, Lison…

Sa crédulité lui vaut d’être le souffre-douleur du Club. Cette putain malgré elle, à laquelle les autres font croire les plus belles et sincères histoires d’amour, conserve malgré tout une belle innocence. (son intelligence à elle).Comparé à Camille, ses tenues sont à la fois plus légères et plus sophistiquées… et d’une exubérance érotique à toute épreuve.

Monsieur :

… ?

Partie II :

Quelques couvertures rocambolesques par Patrick Mallet, la suite des mystères de Paris où on ne serait pas si choqués de voir un Hellboy pointer son museau :

 

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Graphiste et illustrateur il a conçu nombre de couvertures pour nos deux chers éditeurs, mais plus que ça, c’est un auteur de BD émérite au style très caricatural, plein de jolis petits traits : wikipedia.

Un autre illustrateur : Fernando Goncalvès-Félix, à qui nous devons les caricatures des personnages et des auteurs, en Flanklin et Vayec (voir ci-dessus), à un style plus dark et une vision « d’époque » du club que j’apprécie beaucoup. Fernando Goncalvès-Félix

Quelques mots sur l’éditeur :

Créé fin 2006, Malpertuis est un petit éditeur spécialisé dans la littérature fantastique classique et moderne. Travaillant avec peu de moyens, il exploite au maximum les possibilités offertes par les technologies actuelles : Web, logiciels libres et impression numérique à la demande. Sa ligne éditoriale, exigeante sur la qualité, lui a permis de se constituer déjà une certaine notoriété parmi les critiques spécialisés et les lecteurs passionnés.

les éditions Malpertuis

En plus d’avoir un catalogue lovecraftien, on peut y lire les aventures complètement barrées d’Harry Dickson, des anthologies sur le fantastique et de bons romans tels que le Roi en jaune.

Jérôme Sorre et Stephane Mouret, leurs écrits chez la Clef

Vous pouvez y suivre les prémices de leur aventure commune dans la série de l’écho du tonneau (toujours édités) : une amie commune et le sorcier de Tolède, au format fascicule. Ainsi que les premières versions de Chef-d’oeuvre et de Vilaines romances, non rééditées.

– Qu’est-ce qui vous a poussé à commencer cette série ?

Était-ce votre projet de départ, à vous et à Stéphane Mouret ?

Jérôme Sorre :

 

Nous avons créé le club Diogène en 1996, dans une mansarde d’étudiants, car nous voulions déjà depuis plusieurs années écrire ensemble, avoir un projet commun. Comme nous adorons tous les deux le fantastique, et notamment celui de la fin du 19e, l’époque et l’ambiance ont été faciles à trouver. Ensuite, grands amateurs de jeux de rôle, nous avions dès le départ imaginé un club d’enquêteurs de l’étrange. Nous avons créé les personnages en une nuit, leurs motivations, les raisons d’être du Club… puis nous sommes lancés dans l’écriture d’une première nouvelle : Chef-d’oeuvre.

Très rapidement aussi, nous avons constitué l’architecture de notre projet, à savoir 7 livres, recueils de nouvelles ou romans, qui s’étaleraient dans le temps jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Les premiers petits livres parus chez la Clef sont parus sous cette forme, car à l’époque la Clef ne pouvait pas financer de gros volumes, comme elle le fait maintenant. Mais nous avions déjà écrit le premier recueil. D’où notre volonté ensuite de trouver un éditeur qui pouvait nous offrir le format que nous souhaitions, à savoir Malpertuis (lequel est prêt à nous suivre jusqu’au tome 7 !).

Jérôme Sorre et Stéphane Mouret, cf : Clef d’Argent

À deux jours près, Stéphane Mouret et Jérôme Sorre étaient jumeaux. Le premier ne manque d’ailleurs jamais de faire valoir au second, en cas de dispute fondamentale, au sujet par exemple de l’emplacement d’une virgule dans un de leurs textes, le respect que l’on doit à un aîné, et tant pis si ce n’est que de quarante-huit heures.

Après avoir donc sympathisé en gazouillant doctement à la maternité de Vesoul — ils s’en souviennent encore, avec de grands éclats de rire… -, ils ne manquèrent pas, onze ans plus tard, de se reconnaître lorsqu’ils se retrouvèrent au collège. Jusqu’à la fin de la Terminale, ces deux-là devaient partager la même classe, les mêmes lectures, et éventuellement les mêmes amours. Pendant toutes ces années ils donnèrent les signes extérieurs de la plus saine normalité qui soit, cependant que dans les pages qu’ils noircissaient chez eux et se refilaient bien sûr pour lecture, ils aimaient à flirter avec les idées sexy de la folie et de la mort.

Vint le temps de la fac, qui les envoya à Besançon, l’un pour faire indigestion des Codes civil et pénal, l’autre pour se torturer de morphologie grecque et rêver en latin des messes noires qu’il ne célébrerait pas. Ce fut au cours d’un soir de ces années-là, dans une mansarde presque poétique, qu’ils créèrent en quelques heures le CLub Diogène.

Si aujourd’hui, où ces Montaigne et La Boétie d’une espèce moins recommandable ont atteint la trentaine, l’un, devenu intendant, pour un peu refuserait de donner des sous à l’autre, devenu prof de lettres. Si rien ne semble davantage s’opposer que l’inessoufflable cycle de neurasthenic-fantasy qu’écrit Jérôme Sorre et les indénombrables miettes de textes que sème Stéphane Mouret, le Club Diogène, toutefois, continue à les réunir et à les faire rire, et, tout cynique qu’il prétend être, ce Club est même devenu une des formes privilégiées qu’a prise leur amitié… fantastique, bien sûr.

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Il est peut-être temps de détailler ces nouvelles et, comme les critiques foisonnent, changeons de cap avec les commentaires de ces deux écrivains. Comme dit précédemment, c’est un bon gros pavé plein d’anecdotes :

« Comment les personnages agissent sur vos histoires », demandez-vous.

J’aime bien cette formulation. Pour Stevenson, il y a trois manières et trois manières seulement d’écrire une histoire : partir de l’intrigue, des personnages ou d’une ambiance. On pourrait penser a priori que l’intrigue est la donnée la plus importante; sans doute Jérôme et moi, au début, pensions avant tout écrire des histoires au sens d’intrigues, comme un enchaînement avant tout de péripéties. Cependant, à la lecture de certaines critiques et avec du recul, nous avons réalisé que nos personnages, que les membres du club Diogène étaient devenus d’une certaine manière plus importants que les aventures qu’ils vivaient. Nous reprenons de nombreux thèmes du fantastique (les vampires, les morts-vivants, les fantômes…), nous essayons certes de leur insuffler une certaine originalité, mais je crois sincèrement que la plus grande originalité que nous apportions à tous ces monstres et à ces clichés est de les passer à la moulinette Diogène, de les confronter à nos énergumènes; et plus encore, je me demande si notre intérêt d’auteur — ainsi que celui du lecteur familier — n’est pas de voir surtout comment le Maréchal, Fédor, Vayec, Sara, Franklin et les autres réagissent, s’en sortent, etc… Plus que des histoires à part entière, donc, je crois que nous écrivons des histoires du club Diogène. L’intrigue peut être relativement convenue, le traitement ne le sera pas – du moins, il sera « diogénisé ». Tel n’était pas notre but, je le jure (pourquoi d’ailleurs ? Quelqu’un nous accuse-t-il ?) lorsque nous nous sommes lancés dans l’entreprise. D’intermédiaires qu’ils devaient être à des histoires fantastiques, policières ou horrifiques, nos personnages ont été promus attraction principale. C’est un phénomène naturel propre aux séries, je présume. Puisqu’ils sont indélogeables, les auteurs et les lecteurs se prennent d’affection pour les personnages.

Nous avons essayé d’écrire aussi quelques histoires à énigmes, des enquêtes. Je songe à Absences, notamment. Même si nous n’y avons pas tout à fait renoncé (car, pour le lecteur, se gratter la tête, chercher, découvrir de lui-même ou être bluffé font partie des nobles plaisirs populaires de la lecture), Jérôme et moi avons vite compris que nous n’avions guère la fibre d’un Conan Doyle ni d’une Agatha Christie. Je crains que nos intrigues soient trop tarabiscotées et carrées bossues. Du coup, cette forme d’outrance baroque rejoint – décidément, on n’en sort pas – la tonalité Diogène.

Malgré toute l’affection que nous portons à nos énergumènes, nous aurions tort cependant de nous focaliser sur eux. Il faut à tout prix que nous continuions à inventer des histoires, mais dans le troisième tome, nous avons voulu axer notre travail sur dernière composante qu’évoquait Stevenson : l’ambiance. D’où le titre ce troisième tome, Cauchemars sur le club Diogène. Personnellement, la fin des Oiseaux de Hitchcok, qui en déçoit plus d’un (« Pourquoi les oiseaux ils ont fait ça, hein ? Pourquoi ils se sont tous mis à attaquer les gens ? On aimerait savoir. »), eh bien pas nous, on ne veut surtout pas savoir, car ce serait exactement le genre d’explications qui tomberait comme un scalp dans la soupe : combien de ces platitudes pseudo-rationnelles ont détruit de bouquins ou de films ? Rossement, on préfère donc s’en tenir de plus en plus à un début prometteur, entretenir une ambiance aguicheuse dans le milieu d’histoire… et botter en touche à la fin, pas pour décevoir, mais au contraire pour que le soufflé ne retombe pas.

Quelles ambiances, consciemment, avons-nous voulu créer ?

Une des premières dont je me souvienne, c’est pour Le Sorcier de Tolède : une histoire « en noir et blanc », me plaisais-je à répéter. Le personnage monstrueux principal s’appelle Ténèbre, n’interviens que la nuit, et comme c’était l’hiver nous avons pris soin d’insister en permanence sur la blancheur de la neige. Dans La Chaîne, qui ouvre le troisième tome, nous avons cherché à faire une nouvelle de « deuil ». Dans La Danse du diable, on voulait un climat malsain. Dans La Fée des champs ou Hystérie, on s’aventure dans des visions oniriques tendancieusement psychanalytiques. Avec Le Navire, le challenge était de faire rentrer « la Russie à Paris », et conférer à cette histoire une sorte d’exaltation mystique typiquement slave.

Si je résume ? Dans le club Diogène nous voulons depuis toujours et encore maintenant écrire des histoires, mais les personnages ont insensiblement pris le dessus avec les années, et au jour d’aujourd’hui nous sommes surtout intéressés par un travail sur les ambiances.

Comment ont été conçues les nouvelles ? Quelles étaient vos dispositions et vos inspirations du moment ?

C’est vrai que pour l’écriture des nouvelles, cela fonctionne souvent comme ça, par « impulsions ». Jérôme et moi, en dehors du Club, écrivons d’autres nouvelles, et la plupart du temps nous obéissons à cette dimension instantanée : on a une idée… (ou plutôt, comme le remarque justement Stephen King dans Écriture, entrent en conjonction deux idées, qui font étincelle et paf, ça y est, déclenchent l’histoire), et ces idées, oui, germent souvent à cause d’humeurs, si bien que rapidement (en un jour, une semaine) la nouvelle est bouclée.

Pour le club Diogène il en va un peu différemment. Ça a beau se présenter comme un ensemble de nouvelles, c’est avant tout une série. Dès le début, nous avons eu une sorte de plan d’ensemble; il y a déjà vingt ans que nous savons comment finira le club Diogène (dans vingt ans?). Si les deux premiers recueils ont été assez libres et lâches dans leur composition, le troisième a été davantage construit; quant au quatrième, sa structure frisera celle des chapitres d’un roman. Il faut que le livre avance, quelles que soient nos dispositions du moment. Triste, on peut écrire une nouvelle triste, et gai une nouvelle gaie. Mais quand c’est avant tout un bouquin au long cours sur lequel on bûche, eh bien il faudra peut-être écrire ce passage gai tandis que nous serons tristes, et ce passage triste alors qu’on n’a jamais été d’aussi bon poil !

Davantage qu’un panel de récits répondant à des inspirations ponctuelles ou à des humeurs momentanées, il y a dans cette série, qui avance lentement (trois tomes en vingt ans… Ils abusent, les gars !), une évolution d’un recueil à l’autre. Puisque Jérôme et moi avons le temps de changer, les livres ont beau faire partie de la même série, ils s’en ressentent.

Comment fonctionne votre duo ?

Bien, merci.

Non, sans rire… nous rions beaucoup. C’est assez fabuleux, quand j’y pense, que nous ne nous soyons jamais mis sur le pif, en tout cas qu’il n’y ait pas davantage de conflits, de désaccords, ou simplement de discussions. On ne se fait pourtant pas de cadeaux, nous n’hésitons pas à tailler dans le texte de l’autre chaque fois qu’on estime qu’il divague, bavasse ou rate, mais nous sommes amis depuis si longtemps (depuis l’âge de onze ans), nous nous connaissons tellement par coeur qu’il ne saurait y avoir de ces froissements d’ego ou de vanité entre nous. Plus objectif ou mieux placé que nous pour pointer sans pitié les défauts de l’autre, tu meurs.

Concrètement, comment fonctionnons-nous…

Le plus important à dire, c’est qu’il n’y a pas de partage des tâches. L’un et l’autre, nous tenons absolument à intervenir autant à chaque phase de la création : la recherche des idées, l’élaboration des synopsis, l’écriture des premiers jets, la reprise des textes.

Nous nous voyons généralement une fois par mois (ce que nous appelons nos « séances du club Diogène » !) Quelquefois pour écrire, véritablement, comme deux musiciens en studio; à mi-parcours on se lit nos trois pages, puis on échange nos récits. Des séances comme celles-là durent généralement six heures et sont nocturnes. Elles sont surtout assez rares. L’écriture étant avant tout un acte solitaire, il y a beau y avoir le plaisir du compagnonnage et d’une certaine émulation à se retrouver ainsi dans la même pièce à écrire ensemble, ça ne présente pas non plus un intérêt foncier. Nos séances interviennent donc surtout en amont et en aval de l’écriture proprement dite.

Nous travaillons sur deux nouvelles en même temps, car cela nous permet d’écrire simultanément, sans que l’un doive attendre en se tournant les pouces. La plupart du temps nous divisons nos histoires en quatre parties : c’est un « format » qui marche, ni trop court ni trop long (cinq à dix pages par partie), et comme cela à l’échelle d’une nouvelle nos voix se mélangent.

Il arrive, pour de courtes histoires, que l’un de nous se charge complètement de la rédaction : ainsi Jérôme a-t-il écrit seul La Fée des champs et Hystérie, et moi Ça pour une… et Tout le monde descend.

Avec les années, nos deux styles pourtant différents se sont infléchis l’un vers l’autre lorsque nous écrivons les histoires du Club. Puisqu’il s’agit d’une oeuvre par nature très artificielle, très fabriquée (contexte historique précis, décadentisme de la langue, clins d’oeil littéraires, grand usage du deuxième degré…), cela a été somme toute assez facile de nous doter d’un style Diogène unique, où il est de moins en moins facile d’identifier la part qui revient à chacun. Lors de la phase de réécriture, puisque nous reprenons le texte in extenso, nous gommons réciproquement les tics et les excès de l’autre. L’ensemble donne une pâte désormais assez homogène, je pense, la pâte Diogène !

Grâce aux mails, nous échangeons maintenant très vite textes et idées. Mais quand nous avons commencé le club Diogène, nous nous envoyions par La Poste nos manuscrits, tout en pattes de mouches, et c’était une joie de découvrir dans sa boîte aux lettres le matin une grande enveloppe jaune. Tiens, c’est le copain qui m’envoie sa partie, ah ! L’effet est un peu moins magique, avec la boîte mail, mais beaucoup plus pratique !

Stéphane Mouret.

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Quelques vus de Paris en 1870 : le siège des Prussiens, le lancement des premiers ballons, la grande dépression, les révoltes, le début du cinéma, la découverte des ondes radio…

Leur coopération, du collège jusqu’à maintenant, à créé une vision qu’il n’est pas possible de concrétiser seul. Cet univers est si éloigné des autres que nous ne retrouvons aucun plagias, ni même aucune références concrètes, même s’ils disent suivre les auteurs du 19e siècle, des têtes comme Dostoïevski ou Huysmans, leur style est trop éloigné pour qu’on sente le coup de patte emprunté. Le club Diogène est telle une énorme tartine dégoulinante de confiture sur du pain moelleux, pour reprendre l’expression. Pour l’interview de Scifi Universe (oui, je plagie des confrères), ils ajoutent : « Nous ne prenons jamais appui (consciemment en tout cas) sur la réalité. Normalement, personne ne devrait se reconnaître dans nos livres. Si l’on veut bien, même le Paris fréquenté par nos personnages n’est pas réel. Il est mythique. » Et : « Le club Diogène est pour nous comme une soupape, qui nous permet d’entretenir un cynisme de bon aloi, ce qui est fichtrement nécessaire dans ce monde où la vie n’a peut-être jamais été aussi déglinguée, mais les discours si aseptisés. » À défaut de ne les avoir pu rencontrés en live, cette interview à permis de les découvrir sous un autre jour, et si elle vous a été agréable, c’est gagné.