Rencontre avec Philippe Gontier chez Ciel Rouge by Poulpy

coverBonjour, c’est Poulpy! Si je suis là, c’est pour notre deuxième critique littéraire, avec les éditions de la Clef d’Argent!!! Vous souvenez-vous de l’énooooorme article sur le Livre de la Mort ? Cet article : Le Livre de la Mort by PoulpyEt bien ce n’était que le prologue à beaucoup d’autres. Nous sommes de nouveau allés enquêter sur le terrain à la recherche des indices croustillants de ce petit recueil et rencontrer son auteur.

Tout de suite,

Le Doloromètre universel

et autres contes blêmes et maladifs

 par Philippe Gontier

L’intro de l’auteur :

Passionné de littérature populaire et de genre, anthologiste (« Trains de cauchemar ») créateur de la revue de littérature fantastique « Le Boudoir des Gorgones« , collaborateur régulier ou occasionnel de diverses publications comme le « Codex Atlanticus« , « Le Rocambole » ou le défunt « Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne », contributeur à des ouvrages de référence comme le « Dictionnaire des littératures policières » de Claude Mesplède ou le « Dictionnaire du roman populaire francophone » de Daniel Compère, Philippe Gontier propose aujourd’hui aux lecteurs de découvrir son univers personnel à travers le Doloromètre universel, un recueil regroupant sept nouvelles relevant du fantastique et de la science-fiction. Quatre d’entre elles avaient été publiées dans Le « Codex Atlanticus » numéro 10, 14 et 16 ou dans « Le Boudoir des Gorgones », les trois autres étant inédites.

Dans ces textes courts, l’auteur pratique un fantastique feutré, marqué, tant dans le fonds que dans la forme, par ses auteurs de prédilection, au nombre desquels on peut citer, Guy de Maupassant, Jean Lorrain, Marcel Schwob, Edmond Haraucourt, Maurice Level, Maurice Renard ou Claude_Farrère pour n’en citer que quelques-uns. Point ici de vampires, de monstres (quoique…), de fusées ou d’extra-terrestres, mais un basculement soudain du quotidien le plus banal vers des situations étranges, grotesques, insolites, effrayantes, mortelles parfois. Et même si les protagonistes de ces récits parviennent à échapper à la mort ou à la folie, pour eux, les choses ne seront plus jamais ce qu’elles étaient.

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Notre rencontre s’est effectuée pas très loin, chez notre cher partenaire Ciel Rouge pour sa dédicace du 19 octobre, c’était la première fois que la Dwarve Team se réunissait au complet, et ça a déchiré (pas les livres, hein)! On a pu faire un super entretient au calme de la boutique, et rencontrer le maitre dijonnais de la fantasy. Bref, on a passé un bon moment… Cette fois mon pad a croulé sous les questions : une interview exclusive de Philippe Gontier pour sa sortie du Doloromètre universel par… La Dwarve Team (et Poulpy le poulpe)!

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire, spécialement dans ce domaine ? (Quelles sont vos sources d’inspirations, les thèmes que vous cherchez à approfondir ?)

Je crois que c’est parce que j’aime beaucoup m’évader du monde réel, c’est-à-dire que ce soit en littérature ou en cinéma, j’aime bien ce qui me fait sortir du quotidien. Quand j’étais jeune ce que je lisais c’était Sherlock Holmes, Arsène Lupin ou des romans de Gaston Leroux, Rosny, Wells, Maurice Renard, Stevenson. En BD, Tintin, Blake et Mortimer, mais toujours des choses un peu fantastiques et d’aventures. C’est vrai que je ne vais pas au cinéma pour voir des films qui racontent des choses de la vie quotidienne. Je ne dis pas que c’est inintéressant, mais ce n’est pas ça que je recherche. Je cherche des choses qui font s’évader ou rêver, qui font découvrir d’autres univers.

Quand j’ai eu envie d’écrire, eh! bien, tout naturellement, je ne me suis pas posé la question ; tout de suite, j’ai écrit du fantastique ou de la science-fiction parce que je ne voyais pas l’intérêt de parler de ma vie personnelle (même si j’y fais parfois allusion de manière indirecte dans mes textes).

Poulpy : C’est que c’est vraiment décalé, on n’a pas l’habitude de voir ça chez d’autres auteurs…

Ça, ça tient aux influences des auteurs que j’ai lus, j’aime beaucoup la littérature du XIXe siècle et c’est vrai que ça peut être perçu comme un défaut, j’ai tendance à écrire un peu à la manière de ces auteurs, alors c’est vrai que ça peut être en décalage avec le style actuel… Bon, ça peut être aussi un avantage, parce que du coup ça crée une originalité. Actuellement, c’est vrai qu’on est plus dans l’héritage anglo-saxon, et qu’on est influencé par les traductions de l’américain. Beaucoup d’auteurs écrivent dans un style très direct, avec des mots très simples. Ce qui n’est pas du tout un reproche, je ne dis pas pour autant que c’est facile. Moi j’ai toujours aimé utiliser des mots originaux, oubliés, délaissés, des tournures de phrases un peu vieillottes. Des fois, ça peut même paraître un peu précieux, un peu maniéré ou affecté, mais c’est naturel pour moi d’écrire comme ça. C’est l’héritage de Villiers de l’Isle-Adam, de Maupassant, de Marcel Schwob, de Jean Richepin, d’Edmond Haraucourt, de Paul Hervieu, d’Alphonse Allais, de Courteline, de tous ces gens-là, qui sont pour la plupart de grands stylistes.

Comment gérez vous votre fanzine, pouvez-vous nous le décrire ?

Le Boudoir des Gorgones est une revue de littérature insolite ou fantastique, donc elle ne publie que des textes appartenant à cette veine, dans laquelle j’inclus aussi la science-fiction. Elle est divisée en trois parties : une partie pour les rééditions de textes anciens, la plupart du temps des textes de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle, d’auteurs tombés dans le domaine public. Il y a une deuxième partie pour des textes récents ouverte aux jeunes auteurs qui peuvent nous en proposer, et une dernière partie, qui regroupe une chronique des livres qui sortent et une petite rubrique sur les faits divers insolites relevés dans la presse d’hier ou d’aujourd’hui. C’est assez rigolo à faire parce que je cherche dans les journaux un article sur quelqu’un qui a vu un OVNI, un fantôme, un truc insolite… Je découpe tout ça et ça fait une petite rubrique sympa.

(…) Pour les rééditions, les illustrations sont la plupart du temps celles qui illustraient les textes à l’époque, ainsi que les reproductions des couvertures des livres et revues dans lesquelles ils figuraient ; pour des textes récents, je m’y colle souvent, où je récupère des illustrations anciennes, à moins qu’on me propose d’en réaliser. Ce n’est pas toujours facile de trouver des illustrateurs, mais j’espère que ce sera le cas pour plus tard. (…) Les revues sont uniquement disponibles chez Ciel Rouge, à Dijon, sinon il faut les commander via le site de la revue.

Je faisais (parce que pour le moment c’est arrêté) tout tout seul. Et donc du coup, c’est devenu trop lourd à porter, parce que je dois, hélas, travailler pour gagner ma vie, et ça prend énormément de temps… Je fais tout, du choix des textes à la maquette en passant par l’impression, l’agrafage, le massicotage, je m’occupe des envois postaux, donc c’est vraiment un travail énorme, et là je me suis arrêté au numéro 22. Alors, j’ai lancé un petit appel sur Facebook, pour savoir si des gens voulaient me donner un coup de main et il se trouve qu’effectivement il y a eu des réponses. Donc je pense que le Boudoir va repartir. Mais il y a quelqu’un qui va s’occuper de toute la maquette, donc je serai complètement déchargé de ça. J’aurai à chercher des textes, éventuellement à écrire des petites notices. Jean-Pierre Favard a accepté d’écrire des chroniques de livres qui sortent, Jean-Luc Boutel va me faire aussi des notices sur des auteurs… Là, du coup, ça va redevenir gérable pour moi, donc je pense que la revue va reparaître début 2014, du moins je j’espère, avec un rythme qui sera de toute façon irrégulier, car le problème c’est que lorsqu’il faut absolument sortir dans des délais impartis, ça met une pression désagréable. Alors que là au moins, même si c’est irrégulier, la revue continuera de paraître ; parce que malheureusement, j’ai fait le constat que depuis que le Boudoir et le Codex Atlanticus (revue de la Clef d’Argent) ont disparu, il n’y a plus que deux revues de littérature fantastique en France : le Visage Vert et Wendigo, qui en est à son numéro 2. C’est peu. Pour les gens qui veulent publier des nouvelles fantastiques, il n’y a donc pratiquement plus rien. J’espère ainsi pouvoir publier des jeunes auteurs dans la revue.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de publier chez la Clef ?

Ça s’est fait complètement par hasard. Un jour – je ne me souviens plus du tout à propos de quoi —, j’ai échangé avec Philippe Gindre par mail, et bizarrement, il m’a demandé si j’écrivais. Je lui ai dit que oui, effectivement, et comme j’avais une nouvelle qui s’appelait « Vertige » qui dormait dans un tiroir, je la lui ai envoyée et il l’a publiée dans le Codex. En fait, c’est le premier texte que j’ai publié dans une revue qui n’était pas un de mes fanzines, à part un petit article sur Noël Vindry qui était paru dans la revue de l’École nationale des greffes. Je le remercie donc ici. Je n’avais même pas pensé à publier dans d’autres publications que les miennes. Ça me paraissait compliqué et je me disais que ça n’intéresserait personne. J’étais content et fier comme un roi quand j’ai reçu le numéro du Codex où figurait « Vertige ». En plus, Jacques Baudou a publié un petit entrefilet dans le supplément littéraire du Monde, où il disait du bien de ma nouvelle : j’étais aux anges. Ensuite, j’ai envoyé d’autres textes à Philippe qui les a publiés, et une chose en entraînant une autre, Claude Mesplède m’a proposé d’écrire des articles pour son Encyclopédie de la littérature policière, puis Daniel Compère m’a sollicité pour le Rocambole et pour son « Dictionnaire du roman populaire francophone ». C’est un milieu quand même assez fermé, le milieu de la littérature de genre. Vous voyez, dans les festivals, on retrouve toujours un peu les mêmes gens, donc, au bout d’un moment, tout le monde se connaît plus ou moins.

Avant, bien sûr, j’avais publié mes revues qui m’avaient permis de connaître d’autres gens comme Pierre Turpin, Daniel Teulade et Jacques Baudou, puis grâce à Guy Costes qui habite aussi Dijon, j’ai connu Philippe Wadbled, Jean-Luc Buard, Marc Madouraud,  etc.

Quels sont les retours que vous avez de la part de vos lecteurs ? Pour eux et les nouveaux, avez-vous un petit quelque chose à leur transmettre ?

Des retours, honnêtement, j’en ai très très peu, si ce n’est par les gens qui chroniquent les livres sur internet. À part ça, on ne m’écrit jamais, sauf Jacques Baudou à qui j’avais envoyé « Trains de cauchemar » m’a remercié par une très gentille carte. Je ne reçois jamais de courrier de lecteurs. Par contre, il y a les retours sur internet, des gens qui laissent des commentaires, mais là encore, c’est très marginal. En fait, mes lecteurs, je ne les connais pas, est-ce que c’est bien, est-ce que c’est mal, je n’en sais rien, c’est comme ça. Après, c’est aussi une question de pourcentage ; si vous avez 1% de 10.000 personnes qui vous contacte, ça fait cent personnes, mais sur 100, ça en fait une, et les tirages de mes livres ou revues sont, c’est un euphémisme, très loin des 10.000. En revanches, les revues comme « Nuits blanches », « Sur les Rayons de la Bibliothèque populaire » ou « Le Boudoir des gorgones » suscitaient pal mal de courrier.

Pouvez-vous nous parler de vos projets, de vos idées pour de nouveaux textes ?

Des projets, j’en ai beaucoup, le tout c’est de les mener à bien. Il y a un deuxième volume sur les trains en préparation ; j’ai tous les textes, j’ai fait l’introduction, il me reste à écrire encore quelques notices sur les auteurs ; il faut que je m’y mette. Après, dans la même collection, je travaille sur un recueil d’histoires de végétaux fantastiques : des arbres carnivores, des invasions de plantes, toutes ces choses-là. C’est pareil, tous les textes sont là, il reste à écrire l’introduction, ce que je suis en train de faire, et qui est très compliqué parce qu’il faut se documenter sur l’histoire de la botanique, car l’apparition du genre est liée en partie aux recherches qu’il y a eu sur les plantes carnivores, notamment les travaux de Darwin. Il y a ces deux projets-là toujours pour la Clef d’Argent et puis récemment, j’ai recommencé à écrire des nouvelles pour un deuxième recueil.

J’ai à peu près cinq nouvelles en chantier et une qui est finie. Moi j’ai une façon de travailler très particulière. Je me lasse vite, alors je travaille un peu sur le recueil des trains, puis après un peu sur les nouvelles, puis je passe aux plantes carnivores, puis à un article pour le Rocambole, et ainsi de suite, ce qui fait que ça n’avance pas vite, d’autant que je n’ai pas beaucoup de temps à consacrer à l’écriture. En ce qui concerne les nouvelles, il aura une histoire sur un produit chimique qui facilite la mort, qui supprime l’angoisse de la mort ; une autre sur un enfant autiste qui possède un étrange pouvoir ; une autre encore sur quelqu’un qui tombe en panne près d’une gare désaffectée… Enfin des idées comme ça, toujours bizarres ou fantastiques. Après il faut les écrire, ça me prend beaucoup de temps d’écrire, parce que j’aime bien qu’il y ait des ambiances, il faut que ce soit dans un contexte détaillé, que le style coule, c’est assez laborieux.

 

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Parlons de votre nouveau livre, comment définiriez-vous le thème de ce recueil régional ?

Il n’y a pas vraiment de thème conducteur, à part le fantastique. C’est en partie régional parce que deux histoires se déroulent à Pouilly-en-Auxois. C’est dû au fait que Philippe Gindre et moi avons visité le tunnel de Pouilly,  et c’est un endroit tellement extraordinaire que ça m’a donné des idées d’histoires que je ne pouvais pas situer ailleurs que là-bas. Et après il y a une histoire qui se passe à Dijon, « Le Doloromètre universel », mais ça aurait pu aussi bien se passer ailleurs. Je ne sais pas si c’est une bonne chose de situer trop précisément une histoire, parce que du coup les gens qui sont à l’extérieur se sentent moins concernés. Je pense que si on reste plus vague ça concerne plus facilement les gens.

Le titre que j’envisage pour le futur recueil c’est « Mornes faubourgs de la mort », parce que ça tourne autour du thème de la mort, ce qui n’est guère original. En ce qui concerne le « Doloromètre universel », ma nouvelle préférée est celle qui donne son titre au recueil. C’est un titre intrigant, on se demande ce que c’est, un doloromètre universel, et comme je n’avais pas de titre fédérateur qui donne une image de l’ensemble, j’ai trouvé plus simple de faire comme ça.

Dans la première moitié du livre, êtes-vous partie d’histoires en particulier ? (Suivent-elles une progression, même par rapport à vos rééditions du Codex)

L’inspiration c’est très bizarre, ça vient vraiment comme ça, et après coup, quand on essaye de retrouver le processus, de retrouver comment c’et né, on n’y arrive pas… C’est vraiment une alchimie très particulière. Exceptionnellement, ça peut naître d’un rêve ou d’un cauchemar.

J’ai publié trois nouvelles dans le Codex et une dans le Boudoir. Puis les autres sont restées inédites quand les deux revues se sont arrêtées, et à un moment, je me suis dit que ce serait bien de regrouper toutes ces histoires dans un recueil, celles qui étaient déjà parues, et celles qui étaient inédites. Je n’ai absolument pas modifié celles qui avaient été publiées ; je n’ai pas retouché une virgule. Une fois que c’est écrit pour moi, c’est terminé, je fais le maximum au moment de l’écriture, mais après c’est fini.

J’aimerais vous demander d’où provient chacune de ces histoires, quelles sont vos sources d’inspirations pour ces nouvelles, d’où proviennent’-elles, comment les avez-vous écrites (dans un contexte ou un autre) ? Avez-vous des anecdotes ?

Cette fois encore, attardons-nous sur chacune de ces sept nouvelles : les cinq contes à la plume ainsi que Pouilly-en-Auxoix Fantastique, la seconde partie. Et nous allons rester dans le style de ce vénérable site, pas d’avertissement, etc, mais du régionalisme de l’étrange !

Cinq contes à la plume

Vertige

 

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Le premier de ces contes, Vertige, est excellent avant d’aller au dodo. C’est l’histoire d’un homme qui, une nuit, se réveille en sursaut pris d’un étrange vertige. Elle est assez courte, trois pages, la plus longue étant de six. Sans vouloir se monter « flippante », tout comme le reste elle est à la fois étrange, et originale.

Vertige c’est quelque chose qui m’est arrivé vraiment. C’est-à-dire qu’un matin je me suis réveillé, je me suis levé et là, tout s’est mis à tourner et je ne tenais pas debout. C’est fréquent, c’est un problème d’oreille interne. Après j’ai extrapolé à partir de ça…

Le Doloromètre universel

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Illustration de P. Gontier*

Au coeur de Dijon, un homme, ancien industriel (comme on sait cette ville à abrité sa dose d’usines aux curieuses carcasses, dont les usines Pélotat, SEB, etc.) inventeur de la Carbonnette à self-à-fers amovibles (marque déposée)… Je n’ai aucune idée de ce que ce WTF peut être et ce qui l’a fait germer dans l’esprit de l’auteur, mais ça sonne bien ! Rendu fou par la perte de sa femme et de sa fille il créera une machine au nom plus significatif : le doloromètre, dispositif capable de mesurer la douleur d’un individu. Ouch ! Elle vaut l’achat du livre.

Dans le Dolorometre universel, beaucoup se demandent ce qu’est une Carbonnette, d’autres cherchent la demeure en question. D’où provient cette invention, cette histoire ?

La Cardonette, ça vient du nom du fabricant, héros de l’histoire, qui s’appelle Cardonna. Les self-à-fers, j’ai trouvé ça dans une pub pour postes de T.S.F. de l’époque. Dans les postes de radio, il y avait un élément qui s’appelait le self-à-fers, mais ne me demandez pas à quoi ça servait ! C’est le petit détail pittoresque et qui fait vrai, qui est un peu mystérieux ;  les gens se demandent ce que c’est, mais s’ils cherchent, ils voient que ça existait vraiment.

La maison dans laquelle se déroule l’histoire est une synthèse de plusieurs vieilles maisons bourgeoises qui se trouvent dans le quartier Carnot, ou dans les allées du parc (à Dijon). Il y en a de très belles et la nuit certaines sont vraiment inquiétantes ; ça pourrait être aussi des décors de film. L’illustration que j’avais faite pour le Boudoir est un mélange de deux maisons qui existent vraiment.

Je ne sais pas comment l’idée du « doloromètre » m’est venue ; je ne m’en souviens pas, mais j’ai senti que ça avait un potentiel, que c’était bien le genre de truc que les auteurs de SF du début du siècle auraient pu inventer ; j’ai essayé d’imaginer ce qu’un Scwob ou un Richepin auraient fait d’un tel sujet.

 

À Charenton-le-Pont

 

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Qu’est-ce qui à poussé l’auteur de s’intéresser à l’asile de cette ville ? Le thème de ce recueil est bien centré sur les maladies mentales derrière un côté fantastique, pourtant cette nouvelle a été rédigée en 2003 dans les volumes 14 du Codex Atlanticus, des mêmes éditions (si vous désirez vous en procurer : catalogue en bas, section Codex). Un journaliste se rend en ses lieux à la recherche de détails croustillants à mettre dans son article, qu’il risque de trouver un peu trop piquants.

Pour le coup, c’est vraiment une oeuvre d’imagination pure parce que je ne suis jamais allé à Charenton. L’asile existe, en tout cas il a existé, et il était très célèbre. Quand j’étais jeune, lorsque quelqu’un était fou, on disait : « il est mûr pour Charenton ». Je savais que Sade y avait été interné, ainsi que le peintre daltonien Charles Meryon, et aussi l’incroyable Jules Allix, qui avait inventé un système de communication à distance basé sur le pouvoir télépathique des escargots ! Tout ça m’a paru totalement extraordinaire, mais je ne sais pas pour autant à quoi ressemblait l’asile de Charenton. Donc tout est complètement inventé de A jusqu’à Z, y compris le poème à la fin que j’ai signé du pseudonyme Francis-Joseph Hardtier, construit à partir du nom de mes grands-pères : Francis Gontier et Joseph Hardy. Beaucoup de gens croient que c’est un authentique poème de l’époque et que l’auteur existe vraiment. Francis-Joseph Hardtier reviendra en tout cas dans le prochain recueil. Je partage le goût de la mystification littéraire avec Philippe Gindre ; voyez son article sur « Le Club des sept rêveurs » de Lovecraft dans le Codex Atlanticus n° 15.

La Force

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Une force étrange poussant les gens à se suicider. Ce qui est dommage c’est que bien qu’elle fasse un bon prélude à un roman, elle s’arrête là. Le sujet étant déjà abordé ailleurs on peut se dire que l’auteur n’a pas jugé bon de trouver l’inspiration. Tant pis elle fait bien parmi les autres avec ses deux pages et demie de description et autre figure de style décalé (attention, spoiler en dessous).

Je trouve que c’est une idée qui est quand même assez banale, finalement. Je me suis dit que j’allais essayer de la traiter un peu différemment : je vais faire l’amorce et ça va se finir brutalement, comme ça, avec un individu lambda, et puis on ne sait pas ce qui se passe après (en même temps on s’en doute) on imagine que c’est la fin de l’humanité. Sur le coup, ça m’a semblé une meilleure façon de le traiter que d’aller jusqu’au bout. Après, l’extinction de l’humanité, ça a déjà été fait des milliers de fois. En finissant sur un individu, je l’ai vu comme un court-métrage : le gars se jette par la fenêtre et le mot fin apparaît.

Le nuage

 

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Dans une base aérienne, un étrange individu est persuadé d’une chose étrange. Il se fait surnommer l’homme qui ne veut pas qu’on vole dans les nuages. Cette histoire, dans le même thème que ses prédécesseurs, garde une fin inexpliquée et reste dans les têtes avec son absence de pourquoi.

J’ai pris l’aéroport de Nevers comme modèle, car il y a un restaurant où on allait souvent manger quand j’étais jeune, qui était situé dans l’aéroport. C’était un petit aérodrome avec des petits avions de tourisme. J’aimais bien ce lieu, avec sa tour de contrôle ; ça me rappelait une histoire de Ric Hochet. Je pars souvent des lieux ; des lieux qui sont chargés d’une ambiance qui nous parle, qui suscite des émotions, et où on verrait bien se passer des choses un peu étranges. J’avais toujours eu envie de faire une histoire qui se passerait là. Une autre fois j’étais chez moi, dans le jardin, sur une chaise longue ; je regardais le ciel et je suivais des yeux un avion, et à un moment, il est passé derrière un petit nuage. Je me suis dit que ce serait amusant qu’il ne ressorte pas ; et j’ai mélangé c’est deux éléments : l’aérodrome, l’avion et le nuage.

C’est une histoire complètement incohérente ; il ne peut pas y avoir d’explications ; mais je me suis dit que c’était bien de le faire comme ça, avec toutes ces pistes qui semblent se recouper, mais qui finissent en impasses. Car finalement le fantastique c’est ça : il n’y a pas d’explications. Quand il est expliqué, même de manière irrationnelle, c’est un peu moins fort, à moins de trouver une idée géniale et nouvelle. Mais là je trouvais que c’était mieux que ça reste comme ça. On peut interpréter les faits de mille façons.

 

Deux témoignages recueillis lors d’un dialogue arrosé avec un étrange narrateur. À Pouilly se trouve un tunnel qui a servi à alimenter le canal de Bourgogne, pour plus d’information sur ça construction et ses visites :  cap-canal et wikipedia.

Pouilly-en-Auxois fantastique

Sous la voûte

 

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La première nouvelle a été publiée dans le Codex numéro 16, mais sa suite est totalement inédite. Elle raconte l’histoire d’un éclusier qui, lors d’un trajet sous la voûte, se retrouve dans un tout autre monde. Le tunnel est transformé en passage conduisant à une autre dimension. Loin d’être la meilleure du recueil, l’idée de faire se dérouler l’action dans cet endroit est amusante et donne envie d’y faire un tour.

Thor à Pouilly

 

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Cette fois si le narrateur est plus jeune, 14 ans, et le récit parle d’une curieuse histoire de village lorsque la « brute » de celui-ci se remet miraculeusement d’une électrocution lors d’un orage et se découvre des aptitudes surhumaines. Ma seconde favorite pour son côté superpouvoir et intrigue autour de ce point d’eau pourtant calme quand on y passe…

Dans la deuxième partie, pourquoi l’action se passe t’elle à pouilly, la ville de l’inaction ? (Comment vous est venue l’inspiration ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’aborder ?) Pensez-vous à développer quelques une de ces nouvelles en vue d’un futur roman ? Comment s’est passée leur rédaction ?

Mes aventures à Pouilly sont bien sûr imaginaires, mais le lieu est tellement spécial ! Et le canal lui-même, quand on le voit en hiver, avec la brume c’est vraiment un endroit qui est chargé de mystère ; c’est un décor de film à la Hammer. Quand on traversé le tunnel avec Philippe Gindre, la personne qui pilotait le bateau a raconté que quelques jours avant, un petit garçon avait fait une crise d’angoisse parce qu’il avait vu que l’extrémité du tunnel c’était un tout petit point minuscule et il disait qu’on ne pourrait jamais ressortir. J’ai réutilisé cette anecdote dans la nouvelle. Je me suis dit : on peut ressortir, mais si à l’autre bout, on trouvait autre chose…

Le sujet de la deuxième histoire avait été esquissé pour un projet commun avec Philippe Gindre qui n’a pas abouti : celle d’un homme qui a un pouvoir électrique. Je l’ai reprise et située aussi à Pouilly parce que lors de notre visite, nous avons découvert une petite usine éclectique qui produisait l’énergie pour le remorqueur du canal ; je me suis dit que ce serait un bon cadre. Mais j’ai totalement changé l’ambiance et le ton de l’histoire, par rapport à l’idée originale. J’en ai fait quelque chose de plus intime, avec des éléments personnels.

On ne sait pas si c’est le même narrateur dans les deux récits ; ça pourrait, mais l’éclusier de « Sous la voûte » commence son récit en disant qu’il n’a vécu qu’une aventure sur le canal. Alors… Toutefois, dans le deuxième texte, je fais une allusion au premier, pour faire un lien. Et du coup, ça introduit l’idée que Pouilly serait un lieu propice au fantastique, comme Sunnydale dans Buffy, une sorte d’Arkham bourguignon, alors que Pouilly c’est une ville tout ce qu’il y a de plus banale. C’est ce décalage qui m’a plu.

J’aurais bien voulu faire une troisième histoire pour enfoncer le clou et pour attester que vraiment Pouilly c’est une des portes de l’enfer.

En ce qui concerne le roman, ce n’est pas pour moi. J’ai écrit une histoire de Sherlock Holmes, qui est plus une novelette qu’un roman, et j’en ai deux autres en projet, mais le roman, ce n’est pas ma distance. Ma distance c’est la nouvelle et ma devise en littérature, c’est celle de Courteline : « courte et bonne ». Mes maîtres ce sont Guy de Maupassant, Marcel Schwob, Jean Richepin, Maurice Leblanc, Arthur Conan-Doyle, Edmond Haraucourt, Maurice Level, Maurice Renard… La nouvelle c’est le genre roi de la fin XIXe et du début Xxe. J’adore les contes cruels à chute, dont Maurice Level et le maître incontesté. C’est ce que j’essaie de faire à mon modeste niveau. Mais le roman, ça me paraît insurmontable ; je n’arrive pas à trouver le rythme. Alors que j’adore en lire ! Je dévore d’énormes pavés policiers jusqu’à des pas d’heure.

Le seul reproche que l’on peut faire est que certaines de ces nouvelles ne sont pas assez développées et mériterais largement plus de la part de l’auteur, qui pourtant ne manque pas de style ni d’imagination… Que nous retrouverons avec joie pour un nouveau livre !

Et encore un petit bijou tout soigné, raffiné, pétri sous les aisselles 😉

J’aurais vraiment aimé faire une petite visite à Pouilly, voir sur place de quoi il retourne… Mais, avec l’arrivée de l’hiver et du boulot, bref, je m’excuse à tous, si j’y vais un jour, et c’est sûr j’irais, vérifiez les commentaires, et vous saurez…

 

Merci pour cet entretien, pour ceux qui vous auraient raté, dans quelles manifestations pouvons-nous vous revoir ? En tout cas, votre stock est toujours disponible ici, à ciel rouge, et nous vous y attendrons pour une prochaine dédicace !

Je pense que je serais à Damparis comme tous les ans, certainement au Bloody weekend, c’est à peu près tout, peut être à Épinal. Je ne suis pas un grand voyageur…

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Phillipe Gontier est aussi membre des aventuriers de l’art perdu, à Dijon :

Créée en 1993, l’association Les Aventuriers de l’Art Perdu a pour objet l’étude des arts populaires faisant l’objet d’une diffusion de masse : littérature et cinéma populaire (policiers, aventures, science-fiction, fantastique, espionnage, humour, etc.), bande dessinée, roman-photo, séries et films TV, illustrations, affiches, musique (dans la mesure où elle se rattache à l’un de ces domaines, comme la musique de film par exemple), etc.

Son activité se traduit essentiellement par l’édition de plusieurs revues et ouvrages : Nuits Blanches, Sur les rayons de la bibliothèque populaire, l’écho du canon et autre, comme Le boudoir des gorgones.

(…) J’ai fait deux autres fanzines avant le Boudoir, un qui s’appelait Nuits Blanches, qui traitait d’un peu de tout, de cinéma, de fantastique, toujours, de littérature, éventuellement de musique, qui a connu six numéros. Après j’ai fait une autre revue qui s’appelait Sur les rayons de la bibliothèque populaire là qui traitait uniquement de littérature populaire, tous genres confondus. Ensuite, j’ai fait une revue sur Sherlock Holmes qui n’a connu que deux numéros. Et après, j’ai fait le Boudoir des Gorgones. Mais ce n’était que du fanzinat et ça restait confidentiel…

*Avec la Clef d’Argent, c’était vraiment la première fois que j’écrivais pour un vrai éditeur, même si c’est un éditeur associatif. Au début des Aventuriers de l’art perdu, on était cinq et maintenant je suis tout seul. Philippe Gindre, de la Clef d’argent, s’investit beaucoup pour les gens qu’il publie, il a créé le site du boudoir, donc encore merci à lui ! Il fait vraiment un gros travail.

http://clefargent.free.fr/gontier.php

Je ne suis absolument pas un dessinateur né et j’utilise des documents photographiques pour dessiner. Si on prend la couverture de « Trains de cauchemar », j’ai utilisé une photo pour le train. Par contre, faire un montage photo, j’aime ça et ça m’amuse bien. J’ai fait la couverture du « Doloromètre » comme ça. Dès que j’ai découvert les photos de Guillaume Duchenne de Boulogne, j’ai vu que ça collait parfaitement avec la scène finale du Doloromètre. J’ai rajouté quelques éléments : les cadrans, les appareils et je suis très content du résultat. Ces images sont tellement intrigantes qu’elles attirent l’attention. On s’imagine des choses terribles alors que le but c’est juste de recréer artificiellement les différentes expressions du visage en stimulant les muscles avec des courants électriques de faible intensité. Il faut savoir que le modèle était quelqu’un qui était paralysé après une attaque cérébrale. C’est totalement sans douleur, mais on a l’impression que c’est quelque chose d’horrible…

 

Un petit album photo :